Si Marcel Duchamp et John Cage n’ont cessé de revendiquer leurs affinités, il est un point où leurs positions respectives semblent diverger sensiblement : la question de l’érotisme. Alors que Duchamp reconnaît à l’érotisme une importance cruciale dans son œuvre, Cage n’aborde jamais frontalement le sujet et fait montre d’un scepticisme sincère au regard d'Etant donnés : 1° la chute d'eau, 2 ° le gaz d’éclairage (1946-66). Pourtant, si l’on envisage l’érotisme dans son acception étymologique, en référence à l’Éros antique tel qu’il apparaît dans la Théogonie d’Hésiode, le face à face semble moins abrupt. Antérieur à la castration d’Ouranos par Kronos où s’origine la différentiation entre le féminin et le masculin, l’Éros primordial peut être défini comme le principe qui pousse l’un à révéler ce qu’il cache en son sein. En ce sens, il est parfaitement étranger à tout phénomène de séduction, incarné dans les cosmogonies grecques par Aphrodite, déesse de l’attrait amoureux. Envisagé à la lumière de cet Éros cosmique qui est force d’auto-engendrement et, partant, force d’apparaître en produisant l’exposition de ce qui était alors dissimulé, l’érotisme pourrait bien constituer un trait d’union entre Duchamp et Cage. “Éros, c’est la vie A Dialogue between Marcel Duchamp and John Cage. The erotic is the one important topic on which Marcel Duchamp and John Cage truly differed. While Duchamp considered eroticism to be a major element of his work, Cage never treated the subject directly and he reacted with unmitigated skepticism to the elder artist’s last masterpiece, the erotically-charged Etant donnés : 1° la chute d’eau, 2° le gaz d’éclairage (1946-66). Nevertheless, the etymology and the history of the word “eroticism” provide an interesting way to bridge this difference. In Hesiod’s Theogony Eros appears as one of the oldest deities, born into the world prior to the castration of Ouranos by Cronos, from which sprang the differentiation of the male and female sexes. He is the primordial force of desire that drives the soul to find outer expression. This ancien Eros is in no way related to the idea of seduction, the latter being in Greek cosmogonies represented by Aphrodite, the goddess of physical attraction. Incarnating the power of self-generation, the principle that guides the apparition and revelation of what lies concealed, Hesiod’s cosmic Eros may very well be the true link between Duchamp and Cage.